A1 BCC

ASTERION
Analyses pour la politique économique                                                                                    Analyse No. 1
asterion-f.eu                                                                                                                       1er octobre 2019




Pour une Banque Centrale du Carbone



Jacques DELPLA, 
Directeur d’ASTERION (jacques.delpla@asterion-fr.eu)

Christian GOLLIER, 
Professeur d’Économie, Toulouse Sciences Économiques  
(christian.gollier@TSE-fr.eu)



Nous proposons la création, en Union Européenne, d’une Banque Centrale du Carbone (BCC), analogue à la BCE. En amont de la BCC, le pouvoir politique européen donne mandat à la BCC de réduire les quantités d’émissions de CO2 de X% en année N et donne à la BCC le monopole des permis d’émission de CO2 en UE. En aval, la BCC traduit cet objectif en une politique de ciblage du prix universel du carbone payé à la source : elle vend des permis de CO2 à prix unique, qui doivent être acquis par toute source d’entrée de carbone dans l’économie : aux frontières et à l’intérieur de l’Union. La BCC pilote l’évolution à long terme du prix du CO2, permettant d’atteindre les objectifs climatiques démocratiquement déterminés dans son mandat. 

Cette première note d’ASTERION ne concerne que l’Union Européenne. Dans cette note, CO2 désigne tous les Gaz à Effets de Serre, ramenés à leur équivalent en CO2.






Résumé 

L’inflation du carbone (CO2) qui réchauffe le climat est analogue à l’inflation monétaire : trop d’émissions de CO2 sans coordination. Inspirons-nous de la réussite des banques centrales à juguler l’inflation et envisageons une Banque Centrale du Carbone pour juguler les émissions de CO2. Un Traité Carbone Européen instaure une Banque Centrale du Carbone (BCC), analogue à la Banque Centrale Européenne (BCE), pour lutter -en Europe- contre le réchauffement climatique. 

La lutte climatique se heurte à la « tragédie des communs » : le climat, bien public mondial, est affecté par une myriade d’actions individuelles sans coordination. Chaque personne/entreprise/pays a intérêt à une tactique de ‘passager clandestin’ (free rider), puisque chacun supporte 100% des coûts de ses propres efforts et n’en bénéficie que d’une infime partie. Sans coordination, dans le temps et l’espace, entre individus, générations, secteurs et pays, la lutte climatique est hélas inefficace et insuffisante. 

Pour l’action climatique, la stratégie du prix (aussi unique que possible) du CO2 domine la réglementation sans prix du carbone, de la même manière que l’économie de marché domine les économies planifiées. Nous savons aujourd’hui que l’économie de marché (bien régulée) domine (au sens de l’efficacité de Pareto) de très loin le socialisme planiste et collectiviste. Ne passons pas des années ou décennies à refaire ce débat à propos du climat : gérer un prix unique et croissant du carbone domine (au sens de l’efficacité) les stratégies tous azimuts de réglementation du CO2 -que les gouvernements sont souvent tentés de prendre. 

Le problème aujourd’hui est la coordination des efforts climatiques - ou plutôt son absence. Le modèle du marché sans contrainte sur le CO2 est inopérant (ce que reconnaissent tous les économistes sérieux du climat). Le modèle d’intervention étatique tous azimuts ne fonctionne pas non plus. Ensuite, la décarbonation en un seul pays est vaine (la France représente 1% des émissions mondiales de CO2) et il n’y a pas (encore) d’État mondial climatique. 
La Solution : la BCC. Notre idée de Banque Centrale du Carbone remédie à cela, en offrant un nouveau mécanisme de coordination climatique, simple, efficace, robuste et universel : le prix unique du CO2. La Bundesbank et la BCE ont jugulé l’inflation, une Banque Centrale du Carbone fera de même, en ciblant le prix (unique) du CO2 et un sentier de prix du CO2 clair et croissant dans le temps. 

Analogue à la BCE, cette Banque Centrale du Carbone reçoit un mandat clair des pouvoirs publics européens, avec un seul objectif primaire en quantités : que l’UE atteigne la neutralité nette en carbone en 2050] . La BCC doit alors transformer ce mandat primaire en mandat secondaire pour l’économie (un prix unique du CO2 à la hausse), qui sera intégré par les agents économiques dans leurs décisions stratégiques en même temps que de tous les jours. 
La BCC, transparente, soumise à un contrôle démocratique strict, avec un comité de direction indépendant et recruté selon sa seule expertise, aura le monopole de la délivrance de permis d’émissions de CO2 sur la totalité de l’Union Européenne. En pratique il suffit à la BCC de contrôler les principaux points d’entrée et de création du CO2 dans le système économique de l’UE. 

A l’intérieur de l’UE, la BCC vendra des permis d’émission de CO2 aux enchères, avec prix fixe et quantités variables. Ce prix sera révisé périodiquement pour respecter le rythme de décroissance des émissions défini dans son mandat. Ce mécanisme s’appliquera aussi aux importations : leur contenu carbone sera soumis à ces permis -à hauteur de leur contenu carbone. Sera ainsi restaurée l’équivalence carbone entre la production européenne et les productions importées. La BCC pourra aussi acheter des quotas de CO2 issus de la capture du carbone. 
Un prix élevé et prévisible du CO2 par la BCC modifiera les comportements individuels et collectifs (principe du pollueur-payeur) et incitera les secteurs public et privé à financer des investissements dans le progrès technique climatique .  




1 Comment lutter contre le réchauffement climatique ? 

Nous partons ici du consensus des climatologues : pour éviter un trop fort réchauffement climatique, le GIEC nous enseigne qu’il faut restreindre fortement et rapidement les quantités de CO2 émises. Les travaux des principaux économistes du climat (Nordhaus, Tirole, Weitzman…) nous disent qu’il faut des contraintes crédibles et croissantes sur les quantités de CO2 ou bien sur le prix du CO2. Selon un sondage récent, 98% des économistes académiques soutiennent une telle solution. 

Commençons par la mauvaise nouvelle : il n’y a pas de moyen indolore de lutter contre le réchauffement climatique. Il n’y a pas d’écologie « non-punitive ». Cette lutte a un coût global car il faut changer de nombreux comportements et abandonner une énergie fossile peu coûteuse, abondante, qui a fait notre prospérité depuis plus de deux siècles, pour la remplacer par des énergies propres et/ou renouvelables qui vont rester encore durablement intermittentes , plus coûteuses et plus complexes à produire. Réduire les émissions de CO2 revient donc à mettre des contraintes (de prix ou de quantités) à l’utilisation des énergies fossiles qui les engendrent. La lutte climatique doit être une politique de décroissance mondiale des émissions de CO2 -mais non de décroissance totale de l’économie (encore plus vaine si locale) : volens nolens un effort est inévitable. La question est donc : comment la faire accepter en un pays ? En Europe ? Puis par le monde ? 

La lutte climatique se heurte à la tragédie des communs. Le climat, bien public mondial, est affecté par une myriade d’actions individuelles. Sans coordination, dans le temps et l’espace, entre individus, entre générations, entre secteurs et pays, la lutte climatique est inefficace et insuffisante. 


Cinq questions : efficacité, équités, universalité, démocratie 

La lutte contre le réchauffement climatique soulève trois grandes questions (que Jean TIROLE impose comme critères pour tout accord climatique international) : 
1. Efficacité. Comment rendre cette lutte climatique efficace et la moins attentatoire au pouvoir d’achat ? Comment, pour un coût donné, réduire autant que possible le CO2 ? 
2. Universalité. Comment être le plus mondial possible dans cette lutte climatique ? L’effet de serre est global et non local . Dans cette note, nous nous concentrons sur l’Union Européenne, le reste du monde -qui est essentiel- sera abordé dans une note ultérieure. 
3. Équité intragénérationnelle. Comment être le plus équitable possible dans cette lutte climatique ? Comment ne pas léser les plus pauvres d’aujourd’hui lorsqu’on rend les émissions de CO2 plus chère ? Comment rendre cette lutte climatique socialement équitable ? 

Au-delà de ces trois principes de Tirole 2016], nous en ajoutons deux autres : 
4. Légitimité, contrôle et transparence démocratiques (democratic accountability). 
5. Équité intergénérationnelle. Ne pas faire porter tout le poids des politiques climatiques sur une seule génération en particulier. 

Dans cette note nous ne traitons que de l’efficacité (1) au niveau de l’UE. Les points 2, 3, 4 et 5 seront abordés dans des notes ultérieures. 

Réponse : prix unique du carbone et BCC 

1. Comment réduire le CO2 au moindre coût social ? La réponse de la quasi-totalité des économistes, voir notamment l’appel de 27 prix Nobel d’économie en janvier 2019, est un prix unique du CO2. Avec ce prix, tout agent pouvant réduire ses émissions à un coût inférieur à ce prix sera incité à le faire. Ce prix garantit donc que ces efforts seront réalisés, et seulement ceux-là. On atteint donc une allocation des efforts climatiques au moindre coût pour la société. Il suffit d’augmenter ce prix unique du carbone si le pouvoir politique veut lutter plus fortement pour le climat. Concrètement, augmenter de 10% le prix des énergies fossiles réduit leur consommation d’au moins 8% à long terme. Dans l’idéal, ce prix unique du CO2 devrait être mondial. Commençons ici par l’Europe. Toute politique climatique qui ne satisfait pas à ce prix unique du CO2 en UE dilapide l’argent public et ne combat pas le changement climatique au moindre impact sur le pouvoir d’achat des ménages. C’est la situation qui prévaut souvent aujourd’hui dans l’UE. 

La Banque Centrale du Carbone (BCC) répond à cette exigence pour l’Europe. 

L’unicité du prix du carbone a l’avantage de la clarté et de la transparence. C’est un instrument robuste contre les tentatives d’influence de tous les lobbies. Il domine la réglementation qui est lourde, souvent contradictoire, peu efficace, peu lisible et poreuse aux lobbies. 

Enfin, le prix unique du carbone permet de résoudre la question de « ce qui est vert et ce qui ne l’est pas ». Comment savoir si telle tomate ou tel ordinateur est plus ou moins vert ? Le prix du carbone résout ce problème informationnel, qui sinon est d’une complexité inimaginable. 

2. Universalité. Il est difficile d’étendre au monde entier une politique climatique -en raison du free-riding de chaque pays. Mais dans l’espace européen, cette extension est beaucoup plus facile grâce aux règles communautaires de décision déjà en vigueur. Notre idée est la suivante : 
2.1. D’abord une majorité de pays de l’UE volontaires s’engage à lutter contre le réchauffement climatique, en proposant une Banque Centrale du Carbone. 
2.2. Ensuite, ces pays majoritaires imposent cette politique à toute l’UE (et donc à d’éventuels pays récalcitrants) avec la règle du Vote à Majorité Qualifiée (VMQ ) qui s’applique au sein de l’UE (VMQ possibles pour les politiques de l’environnement et du marché unique). 
2.3. Un Traité communautaire européen (Traité du carbone) donne vie et force à cette BCC. 

Ce qui n’a pas marché jusqu’ici…  

Trois méthodes ont été essayées pour réduire le CO2. Elles ont échoué. 

Échec 1 : la vente de quotas de CO2 par enchères à prix variable
Cette méthode a été lancée par la Commission Européenne en Europe depuis 2005, avec les quotas EU-ETS (EU Emissions Trading System), issus du Protocole de Kyoto. L’idée au départ était séduisante, mais elle a échoué. D’une part, la Commission Européenne a donné beaucoup trop d’exemptions et de quotas gratuits de CO2, sous la pression de grands industriels et d’États qui les soutiennent, ce qui a rendu le prix de la tonne de CO2 beaucoup trop faible. D’autre part, le prix de la tonne de CO2 a beaucoup trop fluctué (de 5€ début 2017 à 29€ en juillet 2019 sur l’EU-ETS), rendant la planification des investissements climatiques beaucoup trop aléatoire pour les industriels. 

Les leçons de cet échec sont triples. D’abord il ne faut pas donner la gestion du CO2 à un organisme non-indépendant (ici la Commission Européenne), qui sera toujours poreux aux pressions des industriels, des politiques, ou de la conjoncture. Ensuite, la gestion du CO2 ne doit souffrir aucune exemption (i.e. même prix pour tous). 

Échec 2 : la Taxe Carbone 
La taxe carbone, cf. France en 2018, est aussi un échec. D’abord, elle souffrait trop d’exemptions (routiers, taxis, agriculture, transport aérien et maritime) qui réduisait son efficacité et sa légitimité. Ensuite, l’opposition du mouvement des Gilets Jaunes a montré qu’elle aboutit à une impasse politique. Enfin, même si elle avait été acceptée en France, l’idée de taxe carbone ne marche pas en Union Européenne, car en UE, les décisions fiscales doivent être adoptées à l’unanimité -ce qui n’arrivera pas. 

Échec 3 : Investir dans le climat sans prix du carbone 
Le secteur vert n’est actuellement pas contraint en capital. Au contraire, en l’absence de prix du carbone, elle est en manque de projets économiquement viables. En se trompant de diagnostic, l’idée ‘généreuse’ d’investir des dizaines de milliards d’euros dans des investissements verts sans prix du carbone est une impasse. Sans prix du carbone, l’État tout comme les autres agents économiques ne peuvent déterminer les meilleurs investissements pour la décarbonation. Sans prix du carbone, il n’est pas profitable pour le secteur privé d’investir dans les nouvelles infrastructures et technologies de décarbonation. Sans prix du carbone, il est impossible de réduire la propension des ménages et entreprises à émettre du CO2. Sans un prix du carbone crédiblement croissant dans le temps, il n’y aura ni R&D ni innovation climatique dans le secteur privé. 

La Banque Centrale du Carbone constitue une solution alternative, efficace, robuste et crédible. 

Réduction du CO2 et R&D 
Pour la lutte climatique, l’humanité doit jouer simultanément sur deux tableaux : 
• Demande : Élasticité-prix de la demande. Un prix élevé du carbone réduit la demande de CO2, qui pourrait même devenir négative (capture).  
• Offre : le progrès technique climatique. C’est probablement la principale voie pour éviter le réchauffement climatique, notamment pour les pays pauvres. Accroître l’offre de technologies propres, avec un prix du CO2 élevé, stimule la R&D dans les énergies propres en CO2, dans la capture du CO2, voire dans la géo-ingénierie. Plus le prix du CO2 sera élevé et prévisible, plus il stimulera la R&D climatique du secteur privé. 

L’idée de Banque Centrale du Carbone remplit ces deux objectifs pour l’Europe. 


2 La Banque Centrale du Carbone (BCC)

Analogie Émission de Carbone / Émission Monétaire 
L’histoire du réchauffement climatique peut se résumer ainsi : trop d’émissions de CO2, qui ne coûtent rien à court terme, mais coûtent beaucoup à terme, avec des autorités qui s’engagent à y remédier… mais toujours plus tard, créant ainsi une inflation incontrôlée du CO2. 

Cette histoire est analogue à celle de l’inflation monétaire dans les années 1970. Remplacez le CO2 de 2020 par la monnaie des années 1970 et la comparaison est frappante. Même si la réduction des émissions est socialement désirable, les gouvernements ont systématiquement, depuis trente ans, trouvé de bonnes raisons pour reporter l’effort de lutte climatique. 

Autant le monde est toujours en train de débattre de la meilleure manière de réduire les émissions de CO2, autant la plupart des pays ont résolu leur problème d’inflation, en créant des banques centrales indépendantes, transparentes, avec des objectifs clairs. 

Banque Centrale du Carbone : analogie avec la BCE & la Bundesbank 

Succès des Banques Centrales dans la lutte contre l’inflatio
Pour l’inflation monétaire, après de longues errances, les pays de l’OCDE ont opté pour le modèle d’une Banque Centrale forte, indépendante, avec un Comité de Politique Monétaire (CPM) indépendant, qui cible un seul objectif : la stabilité des prix ou une inflation à 2%. Cela a bien fonctionné : l’inflation est tombée de 2 chiffres à [0% — 2%] dans l’OCDE. Peu d’institutions ont été aussi efficaces dans leur mandat que les Banques Centrales. 

La Banque Centrale Européenne (BCE) a repris l’architecture de la Bundesbank, qui avait résolu les problèmes d’inflation pour l’Allemagne. La BCE a mené à bien jusqu’ici son mandat de stabilité des prix. En outre, la BCE nous montre comment lutter contre l’inflation dans plusieurs pays à la fois. 
Notre idée principale ici : transposer aux émissions de CO2, le mécanisme de la Bundesbank/BCE pour l’inflation monétaire. La Bundesbank nous a montré comment résoudre les problèmes de cohérence des choix collectifs dans le temps. La BCE, avec un mandat communautaire européen, nous montre comment les résoudre entre pays. 
Créons une Banque Centrale du Carbone (BCC) dans toute l’UE, dont le seul et unique objectif est de contenir puis de réduire les émissions de CO2. La BCC a le monopole des permis d’émission de CO2, dans toute l’Union Européenne. 

La BCC partage ainsi les principales caractéristiques de la Bundesbank et de la BCE. 
La BCC reprend les principales caractéristiques de la Bundesbank et de la BCE
• BCE et BCC ont un mandat unique, clair et vérifiable : la stabilité des prix à la consommation pour la BCE, un prix du CO2 à la hausse pour la BCC. 
• La BCE surveille les prix à la consommation, mais agit sur les quantités de monnaie.  
La BCC surveille les quantités de CO2, mais agit sur le prix du CO2. 
• BCE et BCC ont un Comité de Politique Monétaire/Carbone qui les pilote. 
• BCE et BCC sont indépendantes. C’est essentiel pour leur crédibilité dans le temps. Chaque membre du CPM/CPC est nommé par le pouvoir politique, en raison de sa capacité reconnue dans le secteur : il est indépendant et inamovible durant son mandat. 
• Elles sont soumises à transparence et contrôle démocratiques (democratic accountability). 
• BCE et BCC sont établies par Traité International. La BCC est établie par le Traité du carbone.
• La BCE a autorité exclusive sur la zone euro. La BCC a autorité exclusive dans toute l’UE. 

La BCC reçoit un double mandat de la part du politique 
En son amont, la BCC reçoit, de la part des pouvoirs politiques européens, un mandat primaire de réduction des quantités de CO2. C’est d’ici que provient le fondement démocratique de la BCC. Un Traité BCC initial est voté par l’Union Européenne et les pays membres qui le souhaitent. Il définit et organise la BCC. Les objectifs primaires quantitatifs en CO2 de la BCC (-X% en 2030, -Z% en 2040, ZEN en 20XX) sont redéfinis tous les 5 ans] par le Conseil Européen et le/les Parlements Européens. 

En son aval, la BCC doit transformer ce mandat primaire de quantités, en un mandat opérationnel de ciblage du PRIX de la tonne de CO2 pour l’ensemble de l’économie. La question du niveau actuel et futur du prix du carbone n’est pas définie par le pouvoir politique , mais par la BCC. 


3 Mandat Primaire de la BCC : Réduire les quantités de CO2 

Le mandat primaire et unique donné à la BCC par son Traité constitutif est un objectif de réduction des émissions nettes de CO2, en UE, à un horizon donné, le tout déterminé par le pouvoir politique constituant du Traité BCC. 

Pourquoi un objectif de quantités plutôt qu’un objectif en prix ? 

1) Les quantités : c’est ce que les citoyens, journalistes, représentants politiques… comprennent le mieux. Tout le monde comprend ce que signifie diviser par N les émissions annuelles de CO2. Les démocraties ne peuvent voter sereinement que sur des objectifs bien définis et compréhensibles par tous . Nos engagements internationaux sont exprimés dans ces termes plutôt que par un prix du carbone, d’ailleurs très difficile à vérifier . 
2) A cet égard, il serait bon que lors des élections générales, les partis ou candidats s’engagent devant leurs électeurs sur leurs objectifs de réduction quantitatives en CO2. 
3) Les quantités de CO2 sont mesurables et contrôlables facilement aujourd’hui (traçabilité numérique -RFID, satellites…). Contrôles et rendus démocratiques seront aisés et effectifs. L’évaluation technique et la responsabilité politique de la BCC seront mesurées à l’aune de son contrôle des quantités annuelles émises de CO2. 
4) Tous les grands traités et textes internationaux sur le climat (ONU, UE, Accord de Paris…), sont construits autour d’objectifs de quantités de CO2 à réduire. Le Traité de la BCC s’inscrira aisément et sans rupture dans cette logique. 
5) Beaucoup de citoyens croyant à l’utopie d’une transition sans sacrifice sont hostiles à l’idée de prix du carbone, tandis que les politiciens ont une préférence pour bien faire apparaître leur bienveillance envers le climat sans trop parler des coûts. Notre projet donne aux politiciens le beau rôle, en laissant les mauvaises nouvelles pour la BCC (comme pour la BCE). 
6) Dans la pratique, le mandat primaire imposé à la BCC sera précisé, par vote des autorités politiques, comme l’objectif de Zéro Émission Nette (ZEN) de CO2 en 2050], comme souhaité par 23 des 27 pays de l’UE. Ultérieurement, le pouvoir politique pourra changer la date butoir de 2050] -seulement en l’avançant. 
7) Quand existent des risques catastrophiques si la concentration de CO2 dépasse un certain seuil, contrôler les quantités permet de mieux contrôler ces risques qu’une politique de prix, car la relation entre prix et quantité est incertaine. C’est l’argument de Weitzman . 


4 Mandat Secondaire de la Banque Centrale du Carbone : piloter le Prix du CO2 

Dans la vie pratique, les agents économiques n’auront affaire qu’avec des prix du CO2. Par quel mécanisme cette transformation ? La BCC part des objectifs officiels de l’UE (—40% de CO2 d’ici 2030, neutralité nette carbone en 2050) votés et entérinés par l’UE, pour estimer la trajectoire du prix du carbone compatible avec ces objectifs politiquement déterminés. Les modèles actuels indiquent que cette trajectoire d’émission, assez peu ambitieuse à court terme, implique un prix du carbone relativement faible aujourd’hui (50€ la tonne de CO2), mais fortement croissante (au moins 4% par an, plus inflation) pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. La BCC se fonde donc sur des objectifs en termes de quantités de CO2, qui lui sont imposés par le pouvoir politique : Conseil Européen, Parlement Européen, ainsi que Traités internationaux. A partir de ces contraintes sur les quantités de CO2, la BCC définit les prix actuels et futurs du CO2 en UE, selon des calculs rendus publics en détail, afin que les contre-pouvoirs de la société civile puissent les évaluer et les critiquer. 

En pratique, la BCC, ayant le monopole en UE des droits d’émission de CO2, vend, pendant K] mois, des permis non négociables de CO2 à un prix fixe, annoncé au préalable. La BCC fournit alors toutes les demandes de permis de CO2 à ce prix-là. Pour éviter la spéculation, il n’y a pas de marché de permis à polluer. La BCC change ou peut changer régulièrement (comme la BCE) son prix du CO2. 

Pour le plus long terme, la BCC annonce ses propres prévisions du prix du CO2 sur un horizon de 1 à 100 ou 200 ans (une ‘forward guidance’ de court et long terme). Ceci permet aux industriels de disposer d’une estimation du prix du carbone de très long terme pour leurs investissements lourds. Néanmoins, cette chronique de prix est indicative : elle représente la meilleure prévision à date t du prix que la BCC choisira à l’avenir, pour atteindre l’objectif futur en quantité qui lui est assigné. La BCC révise (tous les 5 ans, ou plus tôt si les travaux du GIEC l’imposent) ses propres prévisions de long terme concernant le prix futur du CO2. La révision des objectifs climatiques de long terme doit traduire les évolutions du consensus scientifique (GIEC) et faire l’objet d’une validation démocratique. 

Il est essentiel que, une fois cette estimation réalisée, la BCC n’ait qu’un seul objectif : cette trajectoire dans le temps d’émissions du CO2. C’est le gage qu’elle sera efficace (un outil, un objectif). Par ailleurs, comme la BCC est indépendante, elle doit être jugée sur des critères sans ambiguïté. L’unicité de son objectif rend donc aisée son évaluation par le pouvoir politique et par les médias. 

Ceci implique que la BCC n’a, en tant que telle, aucun objectif social ou redistributif. Elle n’a aucun objectif industriel, aucun objectif de croissance du PIB. C’est aux États de le faire, pas à la BCC. Enfin, la BCC n’a aucun autre objectif environnemental que le prix du CO2. Notamment elle ne s’occupe pas de la biodiversité -combat légitime, mais qui ressortit à d’autres politiques. 


5 Que fait la Banque Centrale du Carbone ?

Le système de la BCC remplace toutes les taxes et subventions existantes sur le CO2, ainsi que le système actuel de quotas de CO2 pour les grandes entreprises (EU-ETS), qui disparaîtra complètement. Il remplace aussi nombre de normes . 

Les économistes proposent d’appliquer le principe pollueur-payeur, en imposant le prix du carbone aux émetteurs de CO2. Cette solution est possible mais soulève des questions techniques compte-tenu de la myriade de sources d’émission qui se verraient obliger d’acheter des permis à la BCC. Par ailleurs, les citoyens sont aujourd’hui majoritairement opposés à l’idée de payer un prix du carbone sur leurs émissions, en particulier en France. Nous proposons plutôt de faire payer les importateurs de carbone dont la combustion engendre les émissions de CO2 au sein ou en-dehors de l’Union. 

Il suffit d’imposer l’achat de permis d’émission CO2 aux ‘sources primaires d’entrée’ de CO2 dans l’économie de l’UE : 
- Importations d’hydrocarbures (pétrole, gaz, charbon) et autres produits engendrant des Gaz à Effets de Serre, aux points d’entrée dans l’UE : ports, gazoducs, oléoducs, principales douanes terrestres de l’UE. Ceci s’applique aussi aux carburants du transport international aérien et maritime. 
- Lieux de production d’hydrocarbures au sein de l’UE (mines de charbon en Allemagne et Pologne surtout). 
- Productions industrielles (à l’intérieur de l’UE) dégageant plus de CO2 que leurs inputs en hydrocarbures : production de ciment/plâtre, acier, chimie, raffinage… 
- Agriculture, notamment les émissions de méthane par les bovins. La traçabilité des émissions de CO2 et de méthane par les animaux d’élevage est rendue possible via la Politique Agricole Commune de l’UE, qui trace chaque animal. 
- Gestion du parc forestier . Gestion des sols. 
La BCC a de droit (par le Traité du Carbone) le monopole des droits d’émission de CO2 dans l’UE. Ceci s’impose partout et à tout membre du l’UE. 

Il n’y a aucune exception (pas de clause du grand-père). Ceci est inscrit dans le Traité Carbone. 

Si un gouvernement veut favoriser un groupe social ou une activité spécifique (e.g. agriculture, transports routiers, maritimes ou aériens), il ne peut pas lui accorder de dérogation . Il doit donner des subventions à ces individus / groupes pour les compenser de l’augmentation des prix induite par le renchérissement des produits carbonés importés. Ces subventions sont prises sur le budget global de la Nation (ce qui est un moyen de réduire l’influence politiques des lobbies). 

Une fois que les entreprises auront acheté leurs permis de CO2, le carbone devient alors un coût parmi d’autres, que les entreprises doivent optimiser. Pour les consommateurs, ce sera analogue à une augmentation du prix du baril par l’OPEP (contre laquelle les gens ne manifestent pas). 

Le rôle des gouvernements est ici très réduit : ils autorisent, par traité, la BCC à fournir et à contrôler les permis de CO2. Ils facilitent la mise en place pratique et locale de la politique de la BCC. La BCC ne vend pas ses permis via les gouvernements. 

Quels types de permis de CO2 sont vendus par la BCC ? 
Nous imposons à la BCC de ne vendre que des permis de CO2, non stockables et non négociables, à utiliser dans les 12 mois à venir (ils ne valent plus rien après). Ils ne sont cessibles (en tout ou partie) qu’à la seule BCC, au prix d’achat. La non-transférabilité des permis est une nouveauté.

Pourquoi ? La BCC annoncera publiquement qu’elle augmentera ses prix du CO2 d’au moins 2% à 4%] hors inflation par an (= taux d’actualisation du climat). Ce sera beaucoup plus que les taux d’intérêt financiers (proches de 0%). Si des quotas supérieurs à 12 mois et stockables étaient vendus, des opérateurs de marché s’endetteraient massivement à 0%] pour acheter des quotas de CO2 qui augmenteraient de manière certaine de 2% à 4%]. Ceci déclencherait une forte spéculation qui augmenterait tout de suite le prix du CO2 à hauteur de sa valeur future de long terme. Ce serait dommageable à la fois pour l’économie et pour la réputation de la BCC. Of, comme le taux de croissance annoncé du prix du CO2 2% à 4% en réel] sera (presque) toujours supérieur aux taux d’intérêt financiers, la BCC ne doit pas vendre de quotas stockables et cessibles de CO2. 

Émissions négatives de CO2 
Avec la BCC, des émissions négatives (brutes) de CO2 sont possibles. La BCC rachète alors, au prix unique, des émissions négatives de CO2, sous forme de quotas certifiés issus notamment de : 
• Afforestation et Reforestation, dans l’UE d’abord, au-delà de l’UE plus tard. 
La BCC pourra racheter des quotas de CO2 issus de la reforestation soit en Europe, soit dans les pays intertropicaux, si l’intégrité et la durabilité de cette reforestation sont certifiés par la BCC. Ceci reviendra à ce que l’UE paye les pays intertropicaux pour l’entretien et le développement de leurs forêts. Ce peut être une alternative à l’actuelle Aide Publique au Développement et peut devenir une source importante de revenu pour les pays tropicaux. 
• Capture du carbone (notamment à la sortie des centrales à charbon).  
• Géo-ingénierie… 

Ces émissions négatives doivent toujours être bien définies, bien certifiées et bien contrôlées, afin d’éviter toute fraude. 

Achats obligatoires de quotas CO2 pour l’importation 
Toute entreprise importatrice au sein de l’UE doit s’acquitter du contenu en carbone des importations, en achetant des quotas CO2 correspondants auprès de la BCC pour un niveau correspondant à la quantité émise de CO2 pour les produire (net du prix du carbone déjà payé par ces producteurs étrangers dans leur pays). C’est le moyen de restaurer l’équivalence carbone entre la production européenne (soumise aux quotas de CO2) et les productions extra-UE non soumises aux quotas de la BCC. 

Comment mesurer le contenu en carbone des importations ? Par défaut, la BCC définit, estime, établit et contrôle le contenu carbone de tous les types d’importations. C’est aujourd’hui difficile, mais les progrès dans les satellites, les drones, les puces numériques et la traçabilité du carbone rendront cela plus facile. Il y aura des incertitudes au départ, mais rapidement les techniques de traçabilité du carbone s’amélioreront. Par ailleurs, la BCC laisse aux importateurs l’option de déclarer eux-mêmes le contenu en carbone de leurs importations, pour autant que cela soit certifié par un tiers de confiance reconnu (agence de notation du carbone…). 

Les entreprises importatrices doivent alors acheter l’équivalent de ce carbone importé en quotas de CO2 auprès de la BCC. Elles ne peuvent pas contester la mesure, par la BCC, du CO2 importé. 

Notons que, plus le prix du carbone est élevé à l’intérieur de l’UE, plus la barrière carbone aux frontières de l’UE est élevée. Cette mesure n’est pas protectionniste en soi . Elle ne fait que contrer le déficit de politique environnementale des pays hors UE.

Dépenses de la BCC 
Au-delà de ses coûts internes de fonctionnement, la BCC finance les moyens technologiques (satellites, drones, capteurs de CO2…) et humains nécessaires pour définir, mesurer et contrôler les quantités de CO2, émises ou séquestrées. Comme les quantités de CO2 ne se voient pas, la garantie de l’intégrité des quotas émis ou rachetés est essentielle à la crédibilité de la lutte européenne contre le réchauffement climatique. 


6 Comment convaincre l’ensemble de l’UE ? 

Comment éviter blocages et vetos contre l’idée de Banque Centrale du Carbone ? Notre idée ici est de passer par le processus communautaire UE. 
• La Commission Européenne propose l’idée de BCC par directive, 
• Au titre des politiques d’environnement (articles 191-194 du TFUE) et du Marché Intérieur , 
• Ce qui permet d’éviter les vétos nationaux et de prendre les décisions par Vote à Majorité Qualifiée (VMQ -accord de 55% des pays, comprenant 65% de la population de l’UE). 
• Or, au sommet européen de juin 2019, 23 des 27 pays de l’UE ont accepté l’objectif de Zéro Émission Nette (ZEN) en 2050. Le VMQ permet de surmonter l’opposition de ces 4 pays (Pologne, Hongrie, Tchéquie et Estonie). Il y aura donc une Majorité Qualifiée pour la BCC. 

Un dernier point de conclusion sur le capital humain. Une politique climatique ambitieuse crédible de long terme, aisément compréhensible et mesurable, comme avec la BCC, est un déterminant important pour les élèves et étudiants qui auront la bonne information pour se tourner vers des emplois liés au climat, du maçon au chercheur scientifique, de l’ouvrier-électricien à l’entrepreneur en Green-Techs. 


Plusieurs autres notes ASTERION vont élargir et développer le modèle de la BCC : 
1. Légitimité et contrôle démocratiques de la BCC : le Traité du Carbone. 
2. La BCC et le reste du monde : comment l’Europe peut-elle inciter (voire forcer) le reste du monde à adopter une politique climatique aussi ambitieuse (cf. Nordhaus et les Clubs du Climat). 
3. Politiques du Climat & Redistribution intra et intergénérationnelles.  
4. La R&D du climat. 




Remerciements
Les auteurs remercient pour leurs commentaires : Edmond Alphandery, Laurence Boone, Pierre-André Chiappori, Christian De Perthuis, Isabelle Delpla, Pierre-Olivier Gourinchas, Bård Harstad, Jean Tirole, Jakob Von Weizsäcker, Charles Wyplosz.  



Annexe 1 : Quel niveau de prix du CO2 ? 


Le niveau des prix du CO2 sera déterminé par la BCC, en fonction du mandat démocratique qu’elle recevra, des recommandations des climatologues et de l’état des technologies. 

Il y a deux méthodes pour estimer le prix du carbone.

• Méthode coût-bénéfice : Pour faire internaliser le dommage climatique à l’ensemble des émetteurs dans le monde, il faudrait fixer un prix du CO2 égal à la valeur actualisée des dommages marginaux engendrés par ce CO2. Il y a un débat autant sur le choix du taux d’actualisation que sur le niveau des dommages engendrés. L’administration Obama avait mis en place un panel scientifique pour réaliser ces estimations, qui a remis son rapport modifié en 2016. En actualisant pour l’inflation, on obtient les estimations suivantes du prix du carbone en 2020 en fonction du taux d’actualisation :

Taux d’actualisation (hors inflation) 5% 3% 2.5%
Prix de la tonne de CO2 en 2020 13.5€ 47.25€ 69.75€

• Méthode coût-efficacité : Puisque le politique fixe l’objectif de réduction de CO2 en 2030 ( 40%) et en 2050 (ZEN : -100%), le prix du carbone devient la « variable duale » de cette contrainte d’émission. Quelle trajectoire du prix du carbone permet de respecter la trajectoire des émissions de CO2 ? 
La Commission Quinet-2 a produit un rapport qui répond précisément à cette question . Celui-ci contient les recommandations suivantes :

Année 2020 2030 2050
Prix de la tonne de CO2 en 2020 69€ 250€ 775€

Ces calculs nécessitent de faire des hypothèses fortes sur les technologies vertes qui prévaudront à l’avenir pour réduire nos émissions.


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