N1 mercosur

ASTERION
Analyses pour la politique économique 
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Climat du MERCOSUR et du CETA

Jacques Delpla
Août 2019



Avec les récents accords de libre-échange du CETA et du MERCOSUR avec l’UE, le discours protectionniste règne de nouveau en France à peu près partout. Pourtant, toute la théorie économique infirme le protectionnisme et soutient sans ambiguïté le libre-échange. Le discours protectionniste a tort aussi dans ses aspects d’environnement et de souveraineté. Pour la lutte climatique, s’opposer au libre-échange est un mauvais combat : le bon combat est celui d’un prix du carbone, assez élevé et croissant dans le temps, appliqué au commerce maritime et aérien -au moins pour l’UE. 

1. D’abord, de quoi parle-t-on ? 

Le MERCOSUR est un accord de libre-échange classique entre l’UE (14 400 Milliards € de PIB pour une population de 448 millions d’habitants) et le MERCOSUR (2 200 Md € de PIB -comme la France- pour une population de 260 millions d’habitants, en 2020). L’UE-27 est 6,5 fois plus grosse que le MERCOSUR en termes de PIB. L’UE a déjà des tarifs douaniers assez bas (12% en moyenne pour les produits agricoles) ou bas (4% en moyenne pour les biens industriels). En revanche, le MERCOSUR a des droits de douanes beaucoup plus élevés (c. 30%), à cause d’une lourde histoire de protectionnisme dans ces pays au XXème siècle (Péronisme en Argentine, populisme militaire au Brésil), de sorte que le MERCOSUR devra faire beaucoup plus de désarmement douanier que l’UE -ce qui implique que les pays du MERCOSUR bénéficieront plus que l’UE de ce libre-échange). En outre, l’accord UE—MERCOSUR (les détails de l’accord sont listés sur le site de la Commission Européenne) couvre de nombreux aspects non-tarifaires. Ensuite, et c’est très important pour notre débat, le MERCOSUR impose à chaque partie, le respect des normes et traités internationaux dans les domaines de l’environnement (et en particulier du climat), des droits de l’homme et des droits des travailleurs (normes de l’OIT). Enfin, un tribunal arbitral international permettra à la fois de faire respecter ces engagements et de juger si les droits de certaines entreprises sont bafoués ou non par des mesures discriminatoires (i.e. contre les seuls investissements étrangers). 

2. Pourquoi le protectionnisme a toujours tort 

Les économistes sont en désaccord sur de nombreux sujets (fiscalité, taux de change, marché du travail…), mais un thème les unit : leur soutien sans ambiguïtés aux politiques de libre-échange commercial, alors même que l’essentiel du personnel politique, des organisations professionnelles et de l’opinion publique sont protectionnistes. Les économistes sont unanimes en faveur du libre-échange car il conduit à une allocation optimale des ressources (avec la spécialisation de chaque pays dans ses avantages comparatifs) et élimine les rentes non-concurrentielles des secteurs protégés. Les droits de douanes sont comme des obstacles physiques au commerce international . En un mot, le libre-échange aboutit à une utilisation optimale des facteurs de production, au niveau international. Ce résultat découvert par David RICARDO (1817 avec sa théorie des avantages comparatifs ) tient toujours. Depuis RICARDO, la théorie économique s’est approfondie, mais le résultat principal demeure : le libre-échange est optimal . Paul KRUGMAN, un temps théoricien d’un certain protectionnisme industriel (au motif de rendements d’échelle croissants et d’effets de réseaux) , défend toujours, en pratique , le libre-échange comme politique optimale, car les quelques arguments théoriques contre le libre-échange sont rares, difficiles à prouver et surtout, ils sont toujours capturés par les lobbies traditionnels protectionnistes . Joe STIGLITZ, ardent pourfendeur du capitalisme actuel, soutient toujours le libre-échange commercial, notamment pour les pays pauvres. 

KRUGMAN écrit même que le commerce international est analogue au progrès technique : il altère le système économique existant et le remplace par un autre plus efficace. Comme avec le progrès technique, le commerce international augmente la richesse totale des deux pays, mais ne préjuge pas des effets redistributifs de ce changement. Que certains perdent au libre-échange est possible, mais la solution n’est pas de s’opposer au CETA ou à l’accord avec le MERCOSUR. Elle est de taxer une partie des gains globaux du libre-échange (de préférence par la TVA) et de compenser les perdants de ce même libre-échange. Quand on comprend le libre-échange comme du progrès technique, il est aisé de comprendre que le libre-échange complet et unilatéral domine le protectionnisme (mais est inférieur au libre-échange généralisé). Aujourd’hui, s’opposer à l’accord MERCOSUR, c’est ne pas aider l’Amérique du Sud à sortir de la pauvreté ; c’est, pour l’UE, renoncer à des gains de richesses disponibles.
 
3. L’Argument climatique 

Nombre de critiques contre le CETA ou l’accord MERCOSUR s’appuient sur l’écologie et le climat. Il faudrait s’opposer à ces accords de libre-échange au motif que : 
- Ils augmenteront les échanges commerciaux et donc la pollution au CO2 des bateaux. 
- Ils renforceront la déforestation de l’Amazonie, avec un remplacement de la forêt équatoriale par des champs de soja.
Ces arguments ont l’apparence du bon sens, mais, à y regarder bien, ce n’est qu’une apparence.  

Le Mauvais argument du transport maritime 
L’argument le plus utilisé contre ces traités de libre-échange : ils augmenteront le commerce international (par bateau ou avion -dont le carburant n’est pas taxé) et donc la pollution en gaz à effets de serre (GES). Ceci est probablement vrai, mais de faible ampleur . Mais la réponse n’est pas de renoncer au libre-échange (et donc au progrès économique qu’il représente), mais de taxer suffisamment le carburant utilisé (principe du pollueur – payeur). Pour le commerce maritime (i.e. la quasi-totalité du commerce transatlantique), il suffit que les ports de l’UE taxent les bateaux sur le carburant utilisé pour importer ou exporter. Ceci est entièrement de la souveraineté de l’UE et ne dépend d’aucun accord international. Si cela est appliqué à l’UE et la Norvège, l’ensemble du commerce Europe-Canada ou Europe-MERCOSUR sera couvert. 

A très court terme, cette taxe réduira un peu les flux de marchandises transatlantiques. A moyen terme, cette taxe carbone suscitera l’innovation dans des transports maritimes plus économes en carburant (meilleur rendement des moteurs thermiques, moteurs électriques, ajout de voiles sur les bateaux, meilleure utilisation des vents et courants marins grâce aux satellites et à la recherche océanographique…). Il ne faut pas réduire le commerce international en tant que tel, mais seulement le carburant qu’il utilise. Les détracteurs des traités de libre-échange seraient plus avisés de demander un haut niveau du prix du carbone pour le commerce international de l’Europe. 

Au-delà du transport maritime, le bon argument sur le climat est toujours celui d’une taxe carbone assez élevée (e.g. 50€ la tonne de CO2) et fortement croissante dans le temps. C’est le meilleur combat pour le climat, qui devrait réunir écologistes et économistes. 

Quid de de la déforestation ? 
L’autre argument majeur contre l’accord avec le MERCOSUR est qu’il inciterait le Brésil à augmenter la déforestation de l’Amazonie. Que le Président BOLSONARO soit climato-sceptique est avéré. Que la déforestation augmente beaucoup depuis son accession au pouvoir, aussi. Mais cela n’implique rien sur l’accord UE-Mercosur, bien au contraire. Cet accord contient des clauses explicites intégrant les accords climatiques internationaux : « Under the agreement, the EU and Mercosur commit to effectively implementing the United Nations Framework Convention on Climate Change and the Paris Agreement on climate change ». Autrement dit, l’accord UE-MERCOSUR impose au Brésil de rester dans l’accord climatique de Paris (2016). Or, comme il est essentiel pour les soutiens de BOLSONARO (le grand agro-business brésilien) d’exporter beaucoup plus en Europe, ces mêmes lobbies font une intense pression sur BOLSONARO pour que le Brésil reste dans l’accord climatique de Paris. A ce titre, l’accord commercial UE-MERCOSUR sert positivement le climat. Certes, l’Accord de paris est déclaratif et non contraignant, mais, que le Brésil reste dans cet accord est préférable à sa sortie que BOLSONARO avait annoncée. 

A long terme, si l’Europe veut garder l’Amazonie comme poumon vert du monde, il faudra beaucoup plus que cela. L’Europe s’est massivement déforestée au Moyen-Âge pour s’enrichir. A quel titre pouvons-nous condamner, voire vouloir interdire, cela pour le Brésil ? Des condamnations et du protectionnisme n’y feront rien. Probablement faudra-t-il payer le Brésil pour qu’il garde et entretienne la forêt amazonienne. (Ceci vaut aussi pour les autres forêts équatoriales : Congo, Indonésie, Malaisie, Papouasie…). Une fois de plus, la solution est intellectuellement facile (mais compliquée à mettre en œuvre) : avec un prix élevé du carbone, l’Occident engendrera des recettes fiscales qui permettront de payer les pays intertropicaux pour qu’ils entretiennent et agrandissent leurs forêts. Plutôt que de s’opposer à l’accord de libre-échange, les amis du climat devraient militer pour des paiements aux pays équatoriaux qui stockent notre carbone. Ce sera probablement une Aide Publique au Développement plus large, durable et légitime aux yeux des contribuables occidentaux. 

Quid de la souveraineté ? 
Dernier argument des opposants à ces traités de libre-échange : la souveraineté que perdrait l’Europe avec ces traités, en délégant une partie des différends à un tribunal arbitral UE-Mercosur. 

Remarquons d’abord que tout traité international implique un renoncement partiel à sa souveraineté. L’argument de retour à la souveraineté est celui des ultra-Brexiters et de Donald TRUMP. C’est l’argument souverainiste classique, qui refuse tout multilatéralisme. Est-ce notre modèle ? Non, je l’espère (depuis Aristide BRIAND, la France a toujours soutenu le multilatéralisme en Europe et dans le monde). 

Ensuite, comme l’indique le traité avec le MERCOSUR, ce tribunal d’arbitrage international sera le même qui permettra à l’Europe de vérifier si le Brésil (et les autres) se conformeront à leurs engagements climatiques -ainsi qu’aux standards de santé, de droits de l’homme et des travailleurs. Refuser ces tribunaux d’arbitrage au motif qu’un jour une multinationale brésilienne pourrait porter plainte contre les réglementations européennes est à la fois faible (l’UE est une organisation de droit où la non-discrimination nationale est un principe fondateur) et contreproductif, car seuls ces mêmes tribunaux d’arbitrage nous donnent un levier d’action sur la mise en application des accords climatiques par le Brésil. 

4. Ne pas aliéner nos amis Allemands 

Au fondement de la CEE (1958-62), il y eut un pacte fondateur entre DE GAULLE et ADENAUER. L’Allemagne acceptait (à l’encontre de ses intérêts) la Politique Agricole Commune et un certain protectionnisme agricole, demandés par DE GAULLE. En retour, la France acceptait, nolens volens, d’aller vers le libre-échange industriel, à l’intérieur de l’Europe et vis-à-vis du reste du monde. Cette aspiration au libre-échange englobe tous les partis politiques allemands, y compris les Verts et surtout le SPD (sauf peut-être Die Linke et l’AfD). Ceci est vrai aussi pour les Pays-Bas et les pays scandinaves, très libre-échangistes, qui sont tous, avec l’Allemagne, les principaux contributeurs nets au budget de l’UE. 

Si la France bloquait les accords de libre-échange de l’UE, ce serait compris outre-Rhin comme une violation du pacte originel DE GAULLE–ADENAUER. Il est fort probable que les Allemands et autres pays du Nord exigeraient aussitôt la fin de la PAC, ou du moins sa ‘nationalisation’. Ce serait la fin des subventions européennes à l’agriculture française. Est-ce vraiment ce que veulent la FNSEA, les agriculteurs français et hommes politiques qui les soutiennent? 

5. Sauvegarder le multilatéralisme contre Trump  

Enfin, il est pour le moins curieux que les opposants français au MERCOSUR et au CETA se rangent aux côtés de Donald TRUMP. TRUMP a clairement annoncé vouloir détruire toutes les institutions multilatérales érigées depuis 1944 sous l’égide des États-Unis : ONU, OMC, OTAN, UE, FMI, Banque Mondiale… y compris même l’Union Postale Universelle (fondée en 1874) ! TRUMP a annoncé début août 2019 que son pays quitterait l’Organisation Mondiale du Commerce, à moins de réformes rapides -qui n’ont aucune chance d’advenir . Autrement dit, TRUMP menace sérieusement de quitter l’OMC, alors que le GATT et l’OMC ont permis depuis 1945 d’éviter les cycles protectionnistes qui ont maintenu le monde dans la dépression et la pauvreté dans les années 1930. Le multilatéralisme depuis 1945 a permis d’assurer la paix et la prospérité entre parties prenantes. En outre, le multilatéralisme permet de préserver l’intérêt des petits pays : une règle générale s’appliquant de même pour tous est la meilleure protection possible pour les petits états -et ils le savent bien. TRUMP avec son agenda nationaliste et unilatéraliste rêve d’un monde où les États-Unis imposeraient, de par leur poids, toutes leurs conditions dans une série de relations bilatérales. Ce serait le règne de la force brute dans les relations internationales et le cauchemar des petits pays. 

Or, à défaut d’une OMC qui instaurerait le libre-échange universel, des zones de libre-échange régionales, aussi larges que possible, constituent le second meilleur choix. Or, c’est exactement ce que sont le CETA et l’accord avec le MERCOSUR. Ne nous leurrons pas : aujourd’hui, attaquer le CETA et l’accord UE-MERCOSUR, c’est accélérer le déclin du multilatéralisme et la victoire des idées de TRUMP. 

6. Conclusion 

Brésil hors de l’Accord de Paris, fin du pacte DE GAULLE-ADENAEUR et donc fin de la PAC, mort du multilatéralisme et triomphe du Trumpisme commercial… est-ce vraiment ce que veulent les adversaires du CETA et de l’accord avec le MERCOSUR ? Ceci mérite un débat plus profond que celui engagé aujourd’hui en France. 
A y regarder en détail, la lutte climatique ne s’oppose pas au libre-échange, bien au contraire. Économistes et écologistes devraient s’unir pour demander un prix de la tonne de carbone assez élevé et croissant dans le temps . Le débat devrait porter sur le niveau et la croissance de ce prix du carbone, ainsi que sur les modalités de son application. 


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