asterion-f.eu
16 février 2020
Brexit et Révocation de l’Édit de Nantes
La France comme nouveau Refuge
pour les exilés du Brexit
Jacques DELPLA,
Directeur d’ASTERION (jacques.delpla@asterion-fr.eu)
Résumé
Le Brexit dur est analogue à la Révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685 . Face à cette erreur massive qu’est le Brexit, la France aurait intérêt à attirer autant que possible les Britanniques rebutés par le Brexit dur (souvent les plus qualifiés et les plus européens).
Nous proposons ici trois mesures.
La France pourrait offrir aux exilés du Brexit (citoyens britanniques ou résidents au R-U de nationalité européenne) :
• La nationalité française, sous conditions simples et faciles (e.g. avoir résidé en France, y avoir une résidence secondaire, y avoir un nouveau travail, y travailler déjà, maîtrise de la langue française, études universitaires passées ou en cours en France…).
• Une période de grâce fiscale pendant leurs 4] premières années de résidence fiscale en France, comme le fit le Prince-électeur de Brandebourg en faveur des huguenots exilés, à partir de 1685.
• De plus nombreux établissements d’enseignement bilingue français – anglais, en France.
1 La Révocation de l’Édit de Nantes et l’émigration des huguenots vers le Refuge
La Révocation de l’Édit de Nantes signa la fin du peu de tolérance que la France catholique avait accordée aux protestants français (huguenots) avec l’Édit de Nantes, signé par Henri IV en 1598. Nombre de huguenots refusèrent alors la conversion obligatoire au catholicisme. 200 000 d’entre eux fuirent la France après 1685 (300 000 avaient déjà fui avant) pour émigrer vers les pays protestants du Nord, appelés alors les pays du Refuge huguenot (Allemagne, Angleterre, Pays-Bas, Scandinavie, Suisse).
Ce fut une émigration d’élites bien formées, cosmopolites et tolérantes : industriels , entrepreneurs, artisans, professions libérales, intellectuels, professeurs et libraires . La Révocation fut une catastrophe humaine et économique pour les huguenots —pour la France aussi.
Les pays du Refuge ouvrirent largement leurs portes aux exilés huguenots. Ainsi le Prince-électeur de Brandebourg (Berlin et Prusse), onze jours seulement après la Révocation, offrit aux huguenots, outre la liberté, le paiement de leur voyage de la frontière française à Berlin et les exonéra d’impôt pendant leurs quatre premières années en Prusse.
L’exil appauvrit le Royaume de France et enrichit, à tous les sens, les pays du Refuge . Berlin compta tout au long du XVIIIe siècle (et au-delà) une large communauté de huguenots qui participèrent fortement à la richesse et au rayonnement culturel de la ville.
2 Le Brexit comme Révocation de l’Édit de Nantes
Le Brexit dur est un désastre en soi pour l’économie, mais aussi pour les échanges entre personnes, la circulation des étudiants, des chercheurs et des idées… Au R-U, le soutien persistant d’environ la moitié des électeurs à un Brexit dur s’accompagne de comportements anti-européens, de la montée d’un nationalisme d’exclusion et du rejet (parfois de la stigmatisation) des étrangers et des diplômés (“We have had enough of experts” dixit M. GOVE -actuel n°2 du gouvernement- en 2016).
Avec le temps, l’hostilité des Brexiters envers l’Europe et les étrangers s’accroît, devenant hystérique et mensongère dans la presse de droite (du Sun au Telegraph).
L’analogie avec la Révocation de l’Édit de Nantes est frappante.
Comme la Révocation, le Brexit dur est une blessure auto-infligée, autodestructrice, non nécessaire et contreproductive que s’impose le R-U pour des raisons idéologiques (« sans le moindre prétexte et sans aucun besoin » cf. infra SAINT-SIMON).
Le discours des Brexiters durs est bien loin des écrits sur la tolérance de John LOCKE (1632-1704), philosophe fondateur du libéralisme anglais .
Le Duc de SAINT-SIMON décrit les horreurs de la Révocation
Le célèbre texte du Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), pourtant catholique, condamnant l’Édit de Nantes et ses conséquences, fait écho au Brexit dur actuel.
Mémoires de SAINT-SIMON, Tome 13, Chapitre 2, écrits entre 1691 à 1723.
« La révocation de l'édit de Nantes sans le moindre prétexte et sans aucun besoin, et les diverses proscriptions plutôt que déclarations qui la suivirent, furent les fruits de ce complot affreux
qui dépeupla un quart du royaume,
qui ruina son commerce,
qui l'affaiblit dans toutes ses parties, …]
qui ruina un peuple si nombreux,
qui déchira un monde de familles,
qui arma les parents contre les parents …] ;
qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs États aux dépens du nôtre et leur fit bâtir de nouvelles villes,
qui leur donna le spectacle d'un si prodigieux peuple proscrit, nu, fugitif, errant sans crime, cherchant asile loin de sa patrie;
qui mit nobles, riches, vieillards, gens souvent très estimés pour leur piété, leur savoir, leur vertu, des gens aisés, faibles, délicats, à la rame, et sous le nerf très effectif du comité, pour cause unique de religion;
enfin qui, pour comble de toutes horreurs, remplit toutes les provinces du royaume de parjures et de sacrilèges, où tout retentissait de hurlements de ces infortunées victimes de l'erreur, pendant que tant d'autres sacrifiaient leur conscience à leurs biens et à leur repos, et achetaient l'un et l'autre par des abjurations simulées d'où sans intervalle on les traînait à adorer ce qu'ils ne croyaient point, et à recevoir réellement le divin corps du Saint des saints, tandis qu'ils demeuraient persuadés qu'ils ne mangeaient que du pain qu'ils devaient encore abhorrer.
Telle fut l'abomination générale enfantée par la flatterie et par la cruauté. …]
Ceux qui, par la suite, eurent l'air d'être changés avec plus de loisir, ne tardèrent pas, par leur fuite ou par leur conduite, à démentir leur prétendu retour. »
3 Proposition : La France comme Refuge du Brexit
Après un Brexit dur, nombre de Britanniques (ou autres citoyens européens résidents au R-U) pourraient vouloir quitter -provisoirement ou pas- le R U pour s’installer sur le continent : pour fuir le Brexit, suivre leur entreprise, continuer leurs recherches, ou retrouver un emploi perdu à cause du Brexit… Tous les pays de l’UE seront prêts à les recevoir .
La France ouvrirait aux exilés du Brexit un équivalent contemporain du Refuge huguenot.
Proposition : La France offrirait aux exilés du Brexit (Britanniques ou autres citoyens européens résidant au R-U) :
La nationalité française, sous conditions simples et faciles (e.g. avoir résidé en France, y avoir une résidence secondaire, y avoir un nouveau travail, y travailler déjà, maîtrise de la langue française, études universitaires passées ou en cours en France…).
Une période de grâce fiscale pendant leurs 4] premières années de résidence fiscale en France, comme le fit le Prince-électeur de Brandebourg en faveur des huguenots exilés, à partir de 1685.
De plus nombreux établissements d’enseignement bilingue français – anglais, en France.
Pourquoi la grâce d’impôt ? On pourrait objecter que ce serait un cadeau fiscal au détriment des contribuables actuels. Non, ceci ne coûterait rien aux finances publiques. Sans cette période de grâce fiscale, les exilés du Brexit pourraient décider d’aller ailleurs en UE. Et après cette période de grâce, les exilés auront pris leurs habitudes en France et seront peu susceptibles de partir ailleurs, ce qui augmenterait nos recettes fiscales.
Offrir le Refuge aux exilés du Brexit serait de l’intérêt direct de la France. Dans cette émigration du Brexit, il y aurait un biais d’auto-sélection : la très grande majorité des candidats seraient très probablement des opposants au Brexit. Ils sont ceux dont la France a le plus besoin, car souvent les plus qualifiés. Ils seraient facilement intégrés. Ils sont aussi souvent les plus pro-européens et cosmopolites.
Ce serait aussi une incitation supplémentaire pour les entreprises britanniques entravées par le Brexit, à venir s’installer en France.
4 Pourquoi les seuls exilés du Brexit ?
La principale raison concernant les Britanniques est historique : notre dette morale envers le R U depuis 1914 et surtout depuis juin 1940, lorsque le R U permit à DE GAULLE et à la France Libre de continuer le combat contre les Nazis depuis l’Angleterre.
Cette offre pourrait s’appliquer en particulier aux Ecossais, qui ont clairement démontré leur attachement à l’UE et leur refus du Brexit.
Cette offre pourrait, sur le principe, s’appliquer aussi à tous les citoyens (et résidents européens) dont le pays quitterait l’UE. Ce serait une incitation de moins pour ces pays à sortir de l’UE, qui pourraient alors craindre de perdre leurs éléments les plus qualifiés et cosmopolites.
5 Bibliographie
Pierre BAYLE : De la Tolérance, Commentaire philosophique sur les paroles de Jésus-Christ, « Contrains-les d’entrer », où l’on prouve par plusieurs raisons démonstratives, qu’il n’y a rien de plus abominable que de faire des conversions. Cantorbery, 1686. Ce que c'est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand. Rotterdam 1686.
Dictionnaire Historique et Critique. Rotterdam, 1702.
Edoardo CAMPANELLA, La Fuite des cerveaux, tribut du Brexit, Project Syndicate, février 2019.
Noel JOHNSON et Mark KOYAMA (George MASON University, VA) Persecution and Toleration. The Long Road to Religious Freedom, Cambridge University Press, 2019.
John LOCKE :
Essai sur la tolérance, 1667.
Reasons for tolerating Papists equally with others. 1667-68. Texte retrouvé en 2019.
Lettre sur la tolérance, 1687.
Duc de SAINT SIMON. Mémoires (1691-1723).
Pour une plus large vue de l’histoire des huguenots à cette époque, voir :
Patrick CABANEL, Histoire des protestants en France, Fayard, 2012.
Janine GARRISON, L'Édit de Nantes et sa révocation : histoire d'une intolérance, Le Seuil 1987.
Remerciements
Edoardo CAMPANELLA, pour son analogie entre Brexit et Révocation de l’Édit de Nantes.
Patrick CABANEL, pour son savoir et sa pédagogie sur l’histoire de huguenots.
Isabelle DELPLA, Professeure de philosophie à l’Université de Lyon, spécialiste de l’œuvre de BAYLE, pour son apport sur la pensée de Pierre BAYLE et de John LOCKE.