P1 Cannabis

Jacques Delpla: «Sur le cannabis, il faut mettre fin 
au système Al Capone»
Interview parue dans L'Opinion le 21 juin 2019
Muriel Motte



L’interdiction du cannabis crée selon vous une « prime de risque ». C’est ce qui justifie sa libéralisation ?

Au début j’étais favorable au maintien de l’interdiction de fumer du cannabis. A titre personnel, le cannabis me gêne, je suis persuadé qu’il est nocif. Mais quand on réfléchit un peu, l’important pour les non-consommateurs – qui sont la majorité – est de mettre fin au système « Al Capone ». La prohibition de l’alcool aux Etats-Unis entre 1920 et 1933 a engendré une violence énorme et une criminalité record liée au trafic d’alcool. Nous vivons la même chose aujourd’hui : le fait que l’Etat interdise le cannabis crée effectivement une prime de risque, c’est coûteux d’être trafiquant de drogue, cela peut conduire à la prison ou au règlement de compte. Cette « prime » justifie la création de toute une économie parallèle de guetteurs, fondée sur la violence et marquée par un taux de mortalité élevé chez les jeunes. Elle fait aussi monter les prix, ce qui alimente les nouveaux Al Capone qui contrôlent des immeubles et des quartiers entiers. C’est très négatif pour tout le monde. Ce qui est important derrière la légalisation du cannabis, c’est le bien-être des populations. Comment l’Etat peut-il envisager d’être moral sur ce sujet alors qu’il autorise l’alcool, le tabac ou les voitures qui roulent à 150 km/h ? Les non-fumeurs ont tout intérêt à la libéralisation, telle que préconisée par l’étude du Conseil d’analyse économique (CAE), c’est-à-dire via des buralistes contrôlés par l’Etat.

C’est une libéralisation pas si libérale que ça…

C’est du libéralisme intelligent. On parle d’une substance dangereuse, il faut éviter des problèmes liés à l’asymétrie d’information. Cela existe pour l’alcool, c’est normal, libéralisme ne veut pas dire tout et n’importe quoi. Mais il faut expliquer aux conservateurs qu’ils n’ont aucun intérêt à le rester sur ce sujet. Ma vision est libérale et intéressée. Voire budgétaire : nous avons besoin de la police dans beaucoup de domaines qui sont aujourd’hui sous-financés. Le rapport du CAE évoque le chiffre d’un million d’heures annuelles consacrées par les forces de l’ordre à la lutte contre le cannabis, et parle d’un « coût social » du cannabis de 919 millions d’euros par an. Cela ne sert à rien de vouloir arrêter tous les petits dealers, de faire de nos policiers les Eliot Ness du XXIe siècle. Theresa May, lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur, avait promis de mettre tous les vendeurs de cannabis en prison. Sa police lui avait ri au nez.

Un système efficace suppose une filière nationale solide. N’est-il pas trop tard pour la mettre sur pied ?

Dans un pays de forte consommation comme la France, ce qui est important, c’est d’abord que l’accès au marché ait lieu par l’intermédiaire d’un système organisé, en l’occurrence les buralistes, avec un contrôle de la qualité du produit vendu. Il faut aussi absolument faire disparaître la rente de monopole des trafiquants et des bandits. Que ce marché rapporte de la TVA ou pas, c’est assez secondaire. Et tant mieux pour le Maroc si la matière première vient de là-bas, cela lui fera des revenus. Nous devons désengorger nos tribunaux, libérer notre police et tuer la rente des trafiquants. Le bien-être de la population et l’ordre public sont les sujets prioritaires à prendre en considération.


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