Quels efforts sommes-nous prêts à consentir aujourd’hui pour sauvegarder le climat dans lequel vivront les générations futures ? Cette question revient avec des taux d’intérêt historiquement bas et avec le débat sur l’urgence climatique. Pour comparer présent et avenir, les économistes du climat utilisent un taux d’actualisation égal au taux d’intérêt sans risque de long terme (taux sur la dette publique), plus une prime de risque (prime de rendement d’actifs risqués -panier d’actions). La collectivité doit alors entreprendre seulement les investissements dont le rendement social est supérieur à ce taux d’actualisation.
Plus ce taux d’actualisation est bas, plus le prix de l’avenir est élevé, plus nous devons investir maintenant pour lutter contre le réchauffement climatique et plus nous devons réduire notre consommation présente de carbone. Ce taux d’actualisation est essentiel pour toutes nos décisions sur le climat. C’est pourquoi la question ne doit pas demeurer académique mais être largement débattue dans le public et au parlement. Le dernier livre de Christian Gollier, professeur à l’École d’Économie de Toulouse, Le Climat après la fin du mois (2019, PUF), expose remarquablement ce débat.
Le consensus des économistes du climat est d’un taux d’actualisation réel de 4% par an : taux réel sans risque de 1% (moyenne historique) + prime de risque de 3%. A 4%, le prix de la tonne de carbone devrait être de 52€ : il est à 25€ pour les grandes entreprises et à presque 50€ pour les automobilistes. Notre effort climatique actuel doit alors être modéré.
Or, aujourd’hui, les taux réels sans risque sont négatifs : -1,5% à trois mois et -0,2% à trente ans. Retenir 0% comme taux sans risque est plus pertinent. Allons plus loin. Si le climat est une menace existentielle pour l’humanité d’ici 2100, est-il légitime de définir le taux d’actualisation climatique avec une prime de risque de 3%, comme si l’État investissait dans un panier d’action ? Non. Si la menace climatique est existentielle, l’État devrait agir contre, de la même manière qu’il investit dans la défense nationale, en acceptant d’investir avec une prime de risque faible.
Additionnons ces deux effets et le taux réel d’actualisation climatique est plus faible que 4% ! Cela a un impact considérable sur nos choix actuels entre consommation et investissements verts pour l’avenir. Avec un taux d’actualisation à 3%/2%/1%, le prix de la tonne de carbone devrait être de 110€/250€/550€, augmentant d’autant notre effort climatique (alors même que les gilets jaunes ont manifesté contre un prix de 50€). Le célèbre rapport sur le climat (2006) de l’économiste Stern retient un taux de 1,4% (soit une tonne de carbone à 400€).
Que faire ? En premier lieu, le Parlement et les médias devraient se saisir du sujet et construire un consensus démocratique sur le taux d’actualisation climatique à adopter collectivement… et en tirer les conséquences politiques. A chaque parti politique de fournir aux électeurs son taux d’actualisation climatique. Aux électeurs de juger. Cette délibération démocratique doit être nationale, puis franco-allemande avec les réunions communes des deux parlements (cf. Traité d’Aix la Chapelle), enfin européenne au sein du Conseil Européen et du Parlement Européen. Ensuite, pour clarifier le débat, le Trésor devrait fournir une mesure objective du taux d’intérêt réel sans risque de très long terme en émettant des obligations réelles (OAT€i) à horizons 100, 150 ou 200 ans.
Jacques Delpla