C1 ADP

Chronique 1. Aéroports de Paris : l'Etat face à ses contradictions  
Jacques Delpla
Parue dans Les Echos le 14 mars 2019


La bataille actuelle sur la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) révèle les tabous, blocages et incohérences de notre débat politique public. D'un côté, l'attachement au totem de la propriété publique des infrastructures de transports : « Ne pas privatiser, car l'Etat sait mieux et fait mieux ! » Or ADP, sans actionnaire majoritaire privé, risque de ne pas trouver les fonds nécessaires pour financer son expansion. Ensuite, l'argument d'une privatisation de la frontière aérienne est absurde : l'Etat conservera l'entièreté de la sécurité et des contrôles. Enfin, la propriété publique ne garde rien (au contraire). Ce qui compte, c'est la régulation, pas la propriété.

Dans l'aérien, l'Etat est perclus de contradictions et de conflits d'intérêts. Un Etat indépendant des protagonistes (après privatisations complètes d'ADP et Air France) serait mieux à même de promouvoir le bien public par une régulation transparente, efficace et non biaisée du secteur aérien (y compris pour l'environnement). D'un autre côté, ces mêmes contempteurs de la privatisation ne disent rien des obstacles administratifs qui réduisent l'efficacité du transport aérien.

Contrôle aérien européen et fédéral

Les conflits d'intérêts, quant à eux, rendent le système sous-optimal. Premièrement, ceux concernant le contrôle aérien. Pour des raisons historiques, le ciel européen est encore fragmenté en 27 systèmes nationaux. Certes, il y a coordination, mais pas intégration - à la différence des Etats-Unis, où le contrôle aérien est fédéral. Un contrôle aérien éclaté à 27 n'optimise pas le ciel européen : il rallonge les trajets, augmente la consommation de kérosène…

Craignant d'affronter les syndicats des contrôleurs aériens (qui menacent toujours d'une grève dure), le ministère des Transports français a jusqu'ici refusé de créer un contrôle aérien unique, intégré, fédéral et public sur l'ensemble de l'UE. Nombre de pays de l'UE (notamment l'Allemagne), la Commission et le Parlement européens demandent cette fédéralisation du contrôle aérien, mais nos gouvernements, capturés par les syndicats de contrôleurs, refusent.

Cela doit cesser : passons à un contrôle aérien européen fédéral, quitte à payer pour réformer, en dédommageant les contrôleurs aériens français. Au moment où la France veut relancer l'Europe avec l'Allemagne, fédéraliser le contrôle aérien est un beau projet européen. Notons qu'une telle réforme augmenterait au passage la valeur d'ADP.

Mettre aux enchères les slots aériens

Deuxièmement, les slots aériens (créneaux d'atterrissage et de décollage des avions). Afin de protéger Air France de la concurrence (notamment des low cost), l'Etat a toujours refusé de réformer le système d'allocation des slots aériens d'ADP, qui repose sur la clause du grand-père : les compagnies déjà présentes depuis longtemps (Air France et autres anciens monopoles étrangers) payent leurs slots moins cher que les nouveaux venus.

C'est légal, mais c'est une subvention indirecte à Air France et à ses homologues, et une barrière à l'entrée pour les compagnies low cost. Il s'agit d'une taxe sur les nouveaux entrants qui, pourtant, ont permis de réduire massivement le coût du transport aérien - sans dégrader la sécurité. Le système actuel est anti-schumpétérien : il favorise les « insiders » contre les nouveaux entrants innovants. Une fois de plus, la politique industrielle de l'Etat revient à soutenir les opérateurs historiques au détriment de l'innovation.

La réponse ici est simple : mettre aux enchères les slots aériens. Ces enchères doivent proposer des lots de slots de long terme, pour permettre à Air France de garder CDG comme hub principal (des enchères différenciées, comme pour les fréquences 4G). Ce serait aussi une mesure sociale, les classes les moins favorisées ou les jeunes voyageant d'abord en low cost. Privatiser, libéraliser et bien réguler serait bien plus efficace que de dormir sur nos tabous et nos contradictions.

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